CHEKIR Abdellatif

Université de Carthage, Tunisie

 

Calque linguistique et transfert sémantique

 

L’interférence entre l’arabe et le français se manifeste à travers l’emprunt au sens strict du terme mais également  à travers le calque. Cependant, ces deux phénomènes ne fonctionnent pas de la même manière. Si l’emprunt consiste en un transfert pur et simple d’un lexème d’une langue à l’autre, moyennant une adaptation phonétique et morphologique et peut, par conséquent, être facilement décelable puisqu’il affiche son extranéité, le calque, au contraire, constitue une traduction littérale d’une expression qui passe d’une langue à l’autre.  Autrement dit, le calque sollicite les matériaux linguistiques de la langue d’arrivée pour véhiculer le sens non compositionnel de l’expression et restituer la texture du patron de départ, ce qui lui permet de s’intégrer plus facilement dans la langue cible. Mais comment repérer le calque puisqu’il est question d’un phénomène insaisissable qui ne laisse aucune trace tangible de son origine. Certes, notre connaissance des deux langues nous permet d’entreprendre notre investigation mais certains calques échappent à notre regard. C’est ainsi qu’il est nécessaire de fixer des paramètres de reconnaissance d’autant plus que les langues arabe et française ne sont pas apparentées et ne recourent pas à la même transcription alphabétique. Beaucoup de critères ont été ainsi proposés pour la reconnaissance des calques. Nous citons les critères morphologique, syntaxique, étymologique, sémantique. Mais la dimension sémantique doit être mise davantage en valeur même si elle est immatérielle et abstraite. En effet, le signifié de l’expression peut constituer un critère pertinent pour dépister ce genre d’expressions calquées. Des expressions comme أخمد في المهد [ʔaϰmada fil mahd] étouffer dans l’œuf,  حجة من الوزن الثقيل [ħɔƷƷa minal ħaƷmiɵɵaqi:l]  un argument de poids ou  لغة خشبية [luɤa ϰaʃabijja], actualisées dans un certain contexte, sont indécodables après une lecture au premier degré. Ce manquement par rapport aux règles de la congruence et de la combinaison des lexèmes sur l’axe syntagmatique, peut ainsi constituer un paramètre de reconnaissance des calques parce que ce type de phrases, qui semblent inacceptables au premier abord, suscite la curiosité des chercheurs et les amènent à étudier leur genèse et leur fonctionnement.

Nous essayerons de démontrer, à travers cette étude, que la dimension sémantique peut constituer un paramètre efficient à même de nous permettre de détecter les expressions préfabriquées calquées, de vérifier leur degré de fidélité par rapport au patron de départ et d’étudier les glissements de sens possibles qui permettent de les déconstruire  pour leur assigner un nouveau statut dans la langue d’arrivée.

 

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